L’infortune d’une femme prouve que la voix des patients est importante

28 octobre 2014 

Lire la transcription

Par une nuit de janvier 2010, Kapka Petrov, faible et désespérée, s’est assise à une table de sa résidence de Toronto et s’est mise à écrire son propre éloge funèbre. 

Le lendemain, elle-même, son mari et leur fille devaient prendre l’avion vers la Bulgarie, dans une ultime tentative de recevoir le traitement médical que Kapka tentait en vain d’obtenir dans son pays d’adoption depuis huit ans. La Bulgarie n’est sans doute pas la destination de choix pour trouver de tels soins, mais l’éloge funèbre resté sur la table et les trois billets d’avion posés à côté témoignent de l’échec du système canadien de santé à prendre cette femme en charge. 

Les ennuis ont commencé en avril 2009. Kapka Petrov, alors âgée de 33 ans, travaillait comme consultante en réinsertion professionnelle et s’occupait des réclamations d’invalidité dans une institution gouvernementale de l’Ontario. Un matin, elle s’est réveillée avec des douleurs abdominales si intenses qu’elle avait du mal à marcher. 

L’hôpital, après avoir mené des examens initiaux qui semblaient exclure la possibilité d’une infection à la vésicule biliaire, l’a retourné à la maison avec de la morphine et une diète destinée à calmer l’inflammation du pancréas qu’on la soupçonnait d’avoir. 

Mais la maladie a empiré, comme la douleur, et elle est retournée à l’hôpital. Dans la semaine qui a suivi, elle a été opérée et on lui a retiré la vésicule biliaire. 

Mais quelque chose n’allait toujours pas. 

« J’ai remarqué que lorsque je suis sortie de l’opération, les autres patients qui étaient avec moi dans la salle de réanimation étaient capables de se lever, de se déplacer et même de retourner à la maison avec l’aide des membres de leur famille », se souvient-elle. 

« Je ne pouvais pas bouger. Quelque chose de très lourd tirait en direction du site de l’opération, du côté supérieur droit de l’abdomen ». 

Dans ce qui allait au cours des mois suivants devenir une rengaine étrangement familière, les infirmières ont assuré Kapka que ses douleurs postopératoires étaient normales et que des médicaments appropriés suffisaient pour les gérer. 

Le lendemain, le chirurgien de Kapka l’a informé que sa vésicule biliaire était pleine de pierres et qu’elle était dans un tel état d’inflammation qu’il avait provoqué une hémorragie mineure du foie en la retirant. Il l’a assuré que tout irait bien malgré tout et qu’il lui suffisait de rester à la maison en prenant des analgésiques. 

Après quelques jours d’inconfort et de vomissements incessants, Kapka et son mari Stan, confus et agacés, sont retournés à l’hôpital pour demander de l’aide. Un deuxième chirurgien les a rencontrés, précisant qu’il ferait tout en son pouvoir pour éviter une poursuite en justice. Kapka n’en avait même pas soulevé la possibilité – tout ce qui lui important, c’était de se rétablir. 

Elle a subi une autre opération, cette fois une cholangiographie pancréatique rétrograde au niveau du foie et une sphinctérotomie visant à libérer toute pierre encore présente qui pourrait provoquer le problème. Elle a reçu son congé de l’hôpital et est retournée à la maison avec de la morphine. Mais dans les mois qui ont suivi, la douleur et les problèmes gastriques ont persisté. Son premier médecin a insisté sur le fait que ce n’était pas un problème chirurgical et qu’il ne voulait pas qu’elle le dérange davantage. Et son gastroentérologue a rempli un rapport indiquant que son état s’était beaucoup amélioré. « Nous nous sommes alors sentis trahis, déconcertés et très amers, parce que nous ne savions plus où aller pour recevoir de l’aide », se souvient Kapka. 

Elle et son mari se sont rendus dans un autre hôpital, dans l’espoir d’obtenir l’avis d’un deuxième chirurgien. Après d’autres tests, on lui a administré un médicament normalement utilisé en cas de cancer pour lutter contre la nausée, en plus de la morphine. Après plusieurs visites, on lui a répété qu’il s’agissait d’un problème de gestion de la douleur. Le message était clair : tout se passait essentiellement dans sa tête. 

Le couple a malgré tout continué à chercher des réponses. Un nouvel examen d’IRM semblait montrer, comme les précédents, que tout était normal. Pourtant, Kapka était si faible qu’elle avait besoin d’aide pour s’habiller, se laver et se nourrir. Son mari a presque perdu son emploi en raison du temps qu’il passait à s’occuper d’elle. Gloria, leur fille de 12 ans, était dans tous ses états, convaincue qu’elle allait perdre sa mère. 

En Bulgarie, ses parents étaient également persuadés que Kapka était mourante. Ils lui ont recommandé de revenir en avion au pays pour y trouver un traitement. C’est ce qu’elle a fait à la fin de janvier 2010, après avoir rédigé son éloge funèbre. 

Elle a passé plusieurs semaines dans un hôpital de Sofia, où elle a consulté plusieurs spécialistes avant de subir une nouvelle intervention chirurgicale. L’opération a eu lieu le 19 mars 2010, près d’un an, jour pour jour, après la première intervention à Toronto. Les premiers mots qu’elle se souvient d’avoir entendus en réanimation sont ceux de son père. 

Elle se souvient de son visage qui lui est apparu et qui lui a dit : « Tu as réussi, ils t’ont sauvée. Ils ont découvert des choses affreuses, mais tu vas t’en tirer. Tu es vivante et tu vas continuer à vivre. » 

Le médecin bulgare avait découvert une pince chirurgicale en métal, profondément enfouie dans l’abdomen de madame Petrov. Elle avait été laissée en place par inadvertance durant l’opération initiale à Toronto et elle n’était pas visible lors des examens normaux. Cette pince enserrait le nerf principal du foie, de même que l’artère, le ganglion et les 3,5 cm restants du canal cholédoque. Le nerf principal du foie était si déformé qu’il avait dû être retiré en entier, de même que certains nerfs périphériques des voies gastro-intestinales qui avaient aussi été endommagés. C’était là l’origine de tous ces mois de douleur débilitante et de frustration. 

« Nous nous sommes sentis soulagés, mais aussi confortés, se souvient-elle. En même temps, nous ne parvenions pas à comprendre comment personne n’avait pu comprendre que quelque chose d’aussi simple pouvait causer autant de problèmes et entraîner une telle détérioration de l’état de santé, et qu’on m’avait simplement recommandé de retourner chez moi pour vivre en me soulageant avec de la morphine. » 

Deux ans plus tard, durant sa lente et longue récupération, Kapka est soudainement retombée malade et a dû subir une hystérectomie d’urgence. Elle a encore été prise de violentes douleurs, mais cette fois dans les régions pelvienne et rectale. Ses médecins lui ont prescrit des analgésiques et lui ont recommandé des antidépresseurs. Six mois plus tard, un médecin en est venu à la conclusion qu’elle souffrait d’une lésion du nerf honteux interne. Il lui a fait une injection pour bloquer le nerf, ce qui a partiellement paralysé son côté gauche. 

Kapka s’est sentie glisser dans les mêmes traumatismes qu’elle avait vécus avant. Faut-il se surprendre qu’elle se soit retrouvée en Bulgarie encore une fois? Et après que les chirurgiens bulgares ont trouvé une énorme masse de tissu endométrial dans son ovaire gauche, et détecté de graves brûlures au côlon sigmoïde et au tractus urinaire dues à l’hystérectomie laparoscopique, comment s’étonner que Kapka Petrov demeure profondément sceptique en ce qui concerne la prestation des soins de santé au Canada? 

« Des erreurs surviennent dans la communauté médicale, c’est évident, dit-elle. Mais comme patiente, je m’attends à ce que mon médecin ne se sauve pas, qu’il m’aide à me sentir mieux plutôt que de m’enfermer dans ma propre bulle d’insécurité. » 

Madame Petrov s’est énormément inspirée de ses propres malheurs dans son action militante pour faire entendre la voix des patients. En tant que membre de Patients pour la sécurité des patients du Canada, elle peut compter sur une enrichissante réserve d’empathie et d’appui. 

« Patients pour la sécurité des patients du Canada m’offre un lieu sûr pour parler de mes expériences telles qu’elles se sont produites, dit-elle. J’ai trouvé beaucoup de réconfort dans le fait qu’on m’écoutait simplement, sans me juger ni me remettre en question. » 

Après tout ce qu’elle a vécu, Kapka Petrov demeure une militante remarquablement motivée et optimiste en ce qui concerne l’amélioration des soins de santé dans son pays d’adoption. 

« Chaque matin, à mon réveil, je me réjouis de la chance que j’ai de respirer et d’être vivante; je suis très reconnaissante d’être toujours sur terre. Ma vie s’articule autour d’objectifs précis, soit d’être autonome, d’aimer et d’aider ma famille, et de soutenir la communauté par tous les moyens qui peuvent à mon avis lui être utiles. » 

image_banner

Vous voulez en savoir plus?

Voir tous les récits

image_banner

Vous voulez en savoir plus?

Voir tous les récits

Umbraco.Web.Models.Link