Le décès de son père : le point de départ d’une quête pour l’amélioration des soins de santé

29 octobre 2014 

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Pour s’occuper des gens confiés à ses soins avec honnêteté et compassion, Carole Jukosky a décidé de mettre la barre encore plus haut. Son père, un officier de la GRC à la retraite, ne se serait pas attendu à moins. 

Le père de Carole, Herbert Strasser, est décédé subitement le 19 septembre 2011 après un périple tortueux de six semaines dans les hôpitaux ontariens, ballotté d’un établissement de soins à l’autre et aggravant un peu plus son état à chaque étape. 

« Je crois que beaucoup de gens rejettent la faute sur le système, le fait que les gens ont trop de travail et qu’on manque de personnel », observe Carole Jukosky, infirmière autorisée et cadre supérieur de deux établissements de soins de longue durée en Ontario. 

« Et je pense que cela fait partie du problème, poursuit-elle. Nous manquons de personnel. Nous tournons les coins ronds et nous transformons le tout en une situation très dangereuse. Mais je crois aussi qu’il y a des gens qui ne sont tout simplement pas consciencieux – et cela m’effraie plus que tout. » 

Herbert Strasser, un homme de 72 ans très actif et apparemment en bonne santé, s’est effondré dans sa résidence de Belleville, en Ontario, le matin du 3 août 2011. Debout devant sa porte, il buvait son café en observant les oiseaux dans son jardin, puis l’instant suivant, il s’est retrouvé au sol. Il est devenu paraplégique sur le coup. Il a été transporté d’urgence à l’hôpital local, puis à l’hôpital général de Kingston, un établissement plus important. 

Les chirurgiens évaluaient la possibilité d’un infarctus médullaire ou d’une compression vertébrale nécessitant une intervention chirurgicale urgente. Pourtant, l’opération a été reportée au lendemain. Lorsque Carole s’est informée, on lui a répondu qu’en dépit de l’urgence de la situation, l’opération aurait lieu le matin suivant « pour des motifs budgétaires ». 

Immédiatement après l’opération, alors que M. Strasser était toujours en salle de réveil, une infirmière munie d’un bloc-notes est entrée dans la salle d’attente en appelant Carole et sa famille, puis leur a livré un compte-rendu détaillé et très personnel de la situation, au beau milieu de la pièce remplie d’étrangers. 

Toujours dans la même salle d’attente, devant les gens inconnus qui se trouvaient là, l’un des chirurgiens est entré et s’est assis sur une petite table devant la famille Strasser en commettant un autre impair. Les diagnostics d’infarctus médullaire, de compression vertébrale et de syndrome de la queue de cheval étaient mentionnés de manière interchangeable, comme si la distinction n’avait pas d’importance. On a dit à la famille Strasser qu’une intervention chirurgicale avait été nécessaire pour déterminer la source du problème. 

M. Strasser a passé dix jours à se remettre de son opération qui a priori s’était déroulée sans incident, avant qu’on le transfère dans un centre de réadaptation. Il y est resté cinq jours avant d’être renvoyé à l’hôpital de Kingston pour des symptômes d’infection urinaire et un nouveau problème de glycémie dangereusement élevé. Il a passé la nuit aux urgences sans être vu par l’équipe initiale de neurologie, puis a été transféré de nouveau en réadaptation, même si sa glycémie était anormalement élevée et que le médecin avait ordonné de le garder sur place jusqu’à ce que son état se soit stabilisé. 

De retour en réadaptation, où son état a été très mal pris en charge, M. Strasser a vu sa santé continuer de se détériorer. Après plusieurs jours, il a été renvoyé à Kingston où on lui a diagnostiqué une infection causée par un abcès apparu sur la plaie chirurgicale de son dos. On lui a donné des antibiotiques et fait une incision et un drainage, puis on l’a rassuré en lui disant que son infection serait suivie de près. Dans les jours qui ont suivi, il a perdu l’appétit, un muguet sévère s’est développé dans sa bouche et il a connu chaque soir des épisodes de frissons et de tremblements. Il s’est également mis à dormir beaucoup plus. Pendant ce temps, son épouse, qui habitait à Belleville, à 45 minutes de route, a elle-même subi une opération d’urgence et n’a pas pu le visiter. Les médecins à Kingston ont discuté du fait que M. Strasser souhaitait désespérément être renvoyé chez lui. Les médecins ont convenu que son état était stable et que « rien de ce qui était fait à Kingston ne pouvait être fait à Belleville ». 

M. Strasser, anxieux, a attendu pendant des jours qu’un lit se libère. Il a finalement été transféré tard un soir, sans que les éléments pertinents de son dossier médical le suivent. Ceux-ci devaient arriver « plus tard ». Mais aucune discussion entre les médecins n’a eu lieu et dans les 24 heures qui ont suivi, il est devenu très malade en raison de divers problèmes. Avant son transfert, on a accidentellement cessé d’administrer un antibiotique crucial pour soigner l’abcès de la moelle épinière. Cette information a été donnée à Carole par la médecin des soins internes le jour du décès de son père. Cette femme a été très honnête et franche par rapport à cette erreur; mais ce n’est que l’une des nombreuses fautes et lacunes de communication que Carole a découvertes après avoir examiné en détail le dossier médical de son père après son décès. 

« Le cas de mon père est très complexe. Il souffrait d’une multitude de problèmes et il avait été soigné dans trois établissements, ce qui était déroutant pour le système médical, très perturbant pour lui et très déstabilisant pour la famille », note-t-elle. 

La continuité et le suivi des soins ont posé d’énormes problèmes. Six heures après son transfert en réadaptation, alors que son état était jugé « stable », M. Strasser a obtenu un résultat positif au test de C. difficile. Il était gravement déshydraté, le muguet dans sa bouche persistait et il avait beaucoup de mal à manger et à boire depuis des jours, sa tension artérielle systolique était à 60, il recevait des bolus de fluides et il avait commencé à vomir. 

Le patient décrit sur papier par le personnel de l’hôpital de Kingston ne ressemblait pas au patient qui se trouvait dans le lit de l’hôpital Belleville. Après plusieurs jours de transferts et de tentatives de rattrapage, il était beaucoup trop tard. Carole reconnaît en toute objectivité que les médecins de Belleville avaient accepté ce patient sans savoir à quel point il était malade. Lorsque son père a plus tard été transféré aux soins intensifs, on a dit à Carole que c’était simplement pour surveiller la prise de médicaments et qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Mais son dossier indique qu’il avait été « transféré d’urgence aux soins intensifs pour un traitement plus intense ». 

Après le décès de son père, Carole s’est dit qu’elle aurait dû agir différemment à bien des égards. Par exemple, elle aurait peut-être dû faire preuve d’un peu moins de confiance et poser des questions de façon plus directes. Son père était un homme très solide, avec des opinions très tranchées et un profond respect pour le professionnalisme. La police formait une « fraternité » et il étendait cette philosophie aux soins médicaux. Carole a souvent ressenti l’envie de se montrer plus exigeante à l’égard des médecins et infirmières, mais son père lui disait toujours de « ne pas faire de vagues ». 

« Je pense que les gens de la génération de mon père ont encore une confiance absolue envers les médecins. Ils croient dur comme fer à leur toute-puissance quasi divine et ne veulent pas jouer les trouble-fête. » 

Il y a toutefois eu un moment où la confiance de M. Strasser a faibli, le jour où il a dit à sa fille : « Ils vont finir par me tuer, ici. La main droite ne sait pas toujours ce que fait la gauche. » 

Lors d’une conversation téléphonique le jour du décès de son père, l’un des médecins a expliqué à Carole qu’il se battait contre plusieurs problèmes de santé, mais que son équipe allait les régler l’un après l’autre et qu’en définitive, tout irait bien. Son père est mort environ huit heures plus tard. L’autopsie a révélé que l’abcès médullaire ne s’était pas résorbé et qu’il s’était en fait étendu de la base de la colonne vertébrale jusqu’au cou et que l’infection était littéralement en train de désagréger son cou. L’infection au C. difficile était si grave que son colon était macéré et le muguet dans sa bouche s’était étendu jusqu’à sa gorge. 

Carole n’était pas au chevet de son père lors de son décès, mais elle y était à chaque étape, et fouille depuis minutieusement chaque dossier médical et chaque résultat de laboratoire pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Elle a aussi rencontré tous les établissements pour examiner le dossier de son père, avec à l’appui l’enquête du coroner, qui a qualifié de « tempête parfaite » cette succession d’erreurs et d’hypothèses mal fondées. 

Les recherches et les enquêtes de Carole ont mené à plusieurs améliorations des soins de santé dans les établissements concernés. 

À l’Hôpital général de Kingston, les rapports postopératoires sont maintenant transmis de manière plus respectueuse, dans un espace privé. De nouveaux protocoles ont été mis en place pour identifier les patients présentant un risque élevé de C. difficile : les rapports sont présentés au chevet du patient; les transferts sont limités le week-end et pendant les heures creuses; et les médecins communiquent et se transmettent leurs rapports entre eux. 

Les hôpitaux de Belleville ont apporté des changements positifs au bilan comparatif des médicaments et aux communications entre médecins. L’établissement de réadaptation a aussi apporté des améliorations, notamment au niveau des communications et du personnel infirmier. 

L’expérience a également eu un important effet sur la manière dont Carole gère les activités des deux centres de soins de longue durée qu’elle dirige. 

« Je fais preuve de beaucoup plus d’empathie, confie Carole, qui poursuit son travail de sensibilisation chez Patients pour la sécurité des patients du Canada. Je suis beaucoup plus compatissante. Je suis plus exigeante envers le personnel infirmier et je surveille de près les problèmes de comportement. 

J’encourage les familles à me confier leurs préoccupations dès que possible. Je leur garantis que cela n’entraînera aucune répercussion, parce que ce n’est pas admissible. » 

Si elle avait un seul message à livrer au personnel soignant, que serait-il? 

« J’aimerais dire aux prestataires de soins de tout le pays que c’est un honneur de veiller à la santé des gens, et que nous avons choisi ce métier pour une raison. Il ne faut jamais oublier cette raison et continuer à réfléchir avec notre cœur. » 

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