Une erreur chirurgicale incite un médecin à défendre la sécurité de tous les patients

26 octobre 2016

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Le Dr Peter Pisters est président et chef de la direction du Réseau universitaire de santé (RUS) à Toronto. Le RUS est un centre intégré de santé, de recherche et d’éducation qui comprend quatre établissements – l’Hôpital Toronto General, l’Hôpital Toronto Western, le centre de cancérologie Princess Margaret et l’Institut de réadaptation de Toronto –, ainsi qu’un établissement scolaire, le Michener Institute of Education du RUS. Mais le Dr Pisters se voit aussi comme le chef de la sécurité des patients du RUS. 

C’est une chose qu’il prend très au sérieux, un devoir renforcé par le souvenir pénible d’une éponge chirurgicale laissé dans le corps d’un patient. 

L’incident est arrivé il y a plus d’une décennie, alors que le Dr Pisters travaillait comme chirurgien au Texas MD Anderson Cancer Center à Houston, où il avait un horaire de travail très chargé. Mais les sentiments de peur, de colère et de frustration qu’il a ressentis ce jour-là sont toujours bien frais dans son esprit. 

Le Dr Pisters pilotait une intervention chirurgicale très compliquée où l’œsophage atteint du patient avait été retiré et remplacé par un tronçon transplanté de son côlon. La chirurgie avait exigé la participation de plusieurs équipes et la procédure avait duré neuf heures. Tout s’était bien passé, mais alors que l’équipe chirurgicale finissait de compter le nombre d’éponges – un exercice systématiquement réalisé avant et après les chirurgies –, quelqu’un a réalisé qu’il en manquait une. Les éponges chirurgicales sont de petits carrés de gaze utilisés pour éponger le sang. Au cours d’une longue opération, les médecins peuvent en utiliser des dizaines sur le site opératoire pour contrôler le saignement. 

Les erreurs de comptage ne sont pas rares dans le contexte mouvementé d’une salle d’opération, c’est pourquoi le Dr Pisters a demandé qu’on fasse un recomptage. Lors de cette deuxième vérification, on a cru que toutes les éponges avaient été comptabilisées. 

« À ce moment-là, l’opération avait déjà duré longtemps, le patient était froid, et pour moi il était absolument impossible que j’aie pu laisser une éponge dans le corps du patient, alors j’ai décidé de le laisser aller en salle de réveil », se souvient le Dr Pisters. 

Mais un léger doute persistait encore dans son esprit. Pour en avoir le cœur net, il a demandé qu’on fasse des radiographies. Lorsque les images ont montré que quelque chose avait été laissé à l’intérieur de son patient, le docteur est resté stupéfait. Pour compliquer les choses, en examinant les images, il a constaté qu’il ne pouvait pas identifier avec certitude l’objet en question. 

« Je me suis rendu compte à ce moment-là que pendant ma formation chirurgicale et ma formation postdoctorale, dans les manuels et les examens, jamais je n’avais vu de radiographies de corps étrangers laissés à l’intérieur d’un patient. Et par conséquent, je ne pouvais pas identifier ce corps étranger, cet objet que j’avais laissé à l’intérieur du patient. » 

Le Dr Pisters est immédiatement allé voir la conjointe du patient pour lui dire qu’il y avait un problème et qu’il pensait que quelque chose avait été laissé dans le corps de son mari. 

« Après cette première conversation, je me souviens que je marchais dans le couloir, la tête basse, en me demandant comment cela avait pu se produire, comment trouver une solution, ce que j’allais pouvoir faire, quelles seraient les conséquences pour moi et si cela allait affecter ma famille », se rappelle le docteur. 

 « J’avais atteint, à plusieurs égards, le sommet de ma carrière. J’avais été nommé professeur titulaire après 10 ans à la faculté. Je pratiquais des opérations chirurgicales de pointe. Et nous connaissions un énorme succès en tant qu’établissement au sein de notre groupe. J’étais inquiet à l’idée que ce qui s’était passé pourrait vraiment me nuire non seulement à moi personnellement et professionnellement, mais également à l’établissement. La situation pouvait aussi, dans ce contexte, entraîner des poursuites et un enchaînement très compliqué d’événements désagréables pour toutes les personnes qui étaient impliquées. » 

Durant les six heures suivantes, le Dr Pisters et ses collègues en chirurgie ont passé aux rayons X chaque pièce d’équipement qu’ils avaient utilisé au cours de l’opération et qui pouvait ressembler à l’objet mystère. Puis, vers 2 heures du matin, l’équipe est finalement arrivée à la conclusion qu’il s’agissait en effet d’une éponge chirurgicale. 

Le Dr Pisters a dormi à l’hôpital cette nuit-là, et le lendemain matin le patient a été ramené dans la salle d’opération. « Je me suis assis dans le coin de la pièce sur un tabouret et j’ai regardé mes collègues rouvrir l’abdomen du patient. Il ne leur a fallu que 20 minutes pour trouver et retirer l’éponge. Tout était terminé en 30 minutes », raconte-t-il. 

« Le patient allait bien, mais le moment que j’ai vécu demeure unique et ne ressemble à aucun autre de ma carrière. Je me suis senti très mal, humilié, et j’avais beaucoup de chagrin. Je n’arrivais pas à croire que j’avais pu commettre une telle erreur. Et en y réfléchissant plus profondément, j’ai compris que j’avais bel et bien commis une erreur, mais que plusieurs éléments du système étaient aussi en cause. » 

Un chirurgien avait commis une erreur, deux comptages d’éponges avaient été faits, et ni le médecin ni l’hôpital n’avaient mis en place des politiques et des protocoles pour faire face aux informations contradictoires. 

Le Dr Pisters explique que l’expérience l’a changé personnellement, et que ce n’est que plus tard dans sa vie universitaire, alors qu’il étudiait la sécurité des patients à la Harvard School of Public Health, qu’il a pu acquérir des connaissances approfondies en science de l’erreur humaine. Quand il a intégré son poste de direction au RUS en janvier 2015, le Dr Pisters y a vu une excellente occasion de jouer un rôle important dans la sécurité des patients. 

« Une grande partie de ce que nous avons à faire aujourd’hui consiste à reconnaître que dans le domaine des soins de santé, il y a historiquement une culture de la honte et du blâme, et aussi souvent une habitude qui consiste à dissimuler nos erreurs et à passer au prochain patient, confie le Dr Pisters. 

On se doit de faire mieux en adoptant les principes et les concepts d’une culture juste, et en appliquant la pensée systémique pour mieux comprendre la complexité de notre environnement de travail en soins de santé ». 

Le Dr Pisters aimerait que le système de santé canadien adopte les approches et principes de sécurité qui ont été déployés avec succès dans d’autres secteurs à « haute fiabilité », comme l’aviation commerciale et la fabrication de produits chimiques. 

« Un des plus grands changements que nous avons mis en œuvre au RUS consiste en une approche que nous appelons Caring Safely (soigner de façon sécuritaire). C’est un programme que nous avons conçu et déployé en collaboration avec la Sick Children’s Hospital de Toronto. Il s’agit d’une approche structurée de la sécurité des patients, qui commence par l’effort de créer une culture juste qui encourage la prise de parole sur des problèmes de sécurité, une approche qui vise non seulement les patients, mais aussi les employés et la sécurité au travail. » 

Alors qu’on parle de plus en plus de l’importance d’accroître la sécurité des patients au Canada, quantité de spécialistes en santé poussent les hôpitaux à devenir plus ouverts en matière de déclaration et de divulgation publique des erreurs évitables, et le Dr Pisters en fait partie. 

« Je pense que les patients et les familles comprennent la complexité des soins médicaux tels qu’ils sont dispensés aujourd’hui, dit-il. Ils comprennent que parfois, les choses ne se passent pas comme prévu. Et la franchise et l’honnêteté que nous démontrons, même l’incertitude que nous transmettons dans les moments de doute, permettent paradoxalement de renforcer la confiance des patients et des familles ». 

Le fait d’être impliqué dans des incidents d’erreurs médicales évitables peut avoir un impact émotionnel sur les prestataires de soins, mais M. Pisters croit que le meilleur remède pour eux consiste à devenir des ambassadeurs de la sécurité au sein de leur propre établissement. 

« Les personnes qui défendent la sécurité, surtout les médecins, ont une influence considérable dans le milieu de soins de santé où elles travaillent. Et quand ces personnes occupent des rôles de leadership ou qu’elles ont la chance d’occuper un poste comme le mien, elles peuvent avoir une influence profonde sur la sécurité des patients, ce qui peut contribuer à sauver des milliers de vies. » 

En effet, c’est l’une des raisons pour lesquelles le Dr Pisters s’est senti obligé de partager son histoire. Il pense que davantage de prestataires de soins doivent se lever et se faire entendre. 

« Nous devons tous et toutes reconnaître que nous avons un rôle à jouer dans la sécurité des patients et que nous avons l’occasion de créer au Canada une vague de transformation qui a une véritable incidence sur la façon dont les patients seront soignés à l’avenir. » 

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