Du silence à des soins plus sûrs : dignité et inclusion pour les personnes aînées de la communauté 2SLGBTQIA+

Dans cette section :

*Avis au lectorat : Ce texte aborde des expériences de traumatisme, de discrimination et d’autres sujets sensibles qui pourraient être difficiles pour certaines personnes. 

Certaines blessures ne se voient pas. Elles vivent dans un regard fuyant, dans la manière dont une voix se baisse avant de dire une vérité trop longtemps retenue.

Darren Usher consacre son énergie à soigner ces blessures invisibles, celles laissées par des décennies de silence, de honte intériorisée et d’oubli. En tant que président de l’organisme Dignity Seniors Society en Colombie-Britannique, Darren œuvre auprès des personnes aînées de la communauté 2SLGBTQIA+ pour favoriser des soins plus sûrs, à la fois inclusifs et empreints de dignité. Pour lui, la sécurité prend racine dans la relation, dans cette reconnaissance mutuelle qui naît lorsqu’une personne se sent enfin écoutée, comprise et acceptée telle qu’elle est.

La sécurité n’est jamais absolue

Lorsqu’on lui demande ce que signifie un soin sûr pour les personnes aînées de la communauté 2SLGBTQIA+, Darren prend un long moment avant de répondre.
« Je n’ai jamais aimé le mot sûr, explique-t-il. Il promet trop. Je préfère plus sûr. »

La sécurité, précise-t-il, se construit avec chaque personne, nourrie par la confiance, l’expérience et l’attention.
« Quand les soins sont culturellement adaptés, ils deviennent plus sûrs d’emblée. Mais cela n’arrive que lorsque les prestataires prennent le temps d’écouter et d’apprendre. On ne peut pas rencontrer une seule personne trans et croire qu’on comprend tout le monde. Chaque personne définit ce que la sécurité signifie pour elle. »

Aller à la rencontre des personnes là où elles sont

Cette conviction inspire l’approche de Dignity Seniors Society, qui est ancrée dans la reconnaissance des traumatismes et la valorisation des forces de chaque personne. Elle prend forme à travers We Are Familee, une initiative bénévole qui aide les personnes aînées 2SLGBTQIA+ à demeurer dans leur communauté, en collaboration avec Excellence en santé Canada dans le cadre du projet Favoriser le vieillir chez soi.  

« Notre approche consiste à adapter le programme à la personne, précise Darren. Cela exige de la flexibilité : on s’ajuste à son rythme et à ses besoins, plutôt qu’à la disponibilité des bénévoles. »

Le changement, poursuit-il, peut sembler lent, mais il transforme profondément les vies.
« Certaines personnes, confinées au lit au départ, participent aujourd’hui à des activités et renouent avec leur communauté. Elles redécouvrent qu’on tient à elles. C’est puissant. »

Pour beaucoup, ces gestes simples, une visite hebdomadaire, un repas partagé ou une conversation, ne sont pas que bienveillants; ils sont vitaux.

Le poids de l’isolement

Darren ne cherche pas à adoucir la réalité. L’isolement, dit-il, laisse des traces qui dépassent la solitude.
« Les personnes aînées ont connu des décennies durant lesquelles l’homosexualité était à la fois criminalisée et pathologisée. Elles ont appris à se protéger en devenant invisibles. »

Cet instinct de se cacher ne disparaît pas avec l’âge. Dans les milieux de soins de longue durée, Darren rencontre souvent des membres de la communauté assis en retrait, écoutant les autres parler de leurs enfants ou petits-enfants.
« Ils se censurent, dit-il, parce qu’ils présument que personne ne veut entendre leurs histoires. »

Cette invisibilité, ajoute-t-il, n’est pas anodine : elle s’enracine dans la peur et la douleur. Et lorsque ces émotions empêchent les gens de s’exprimer, le silence qui s’installe accentue leur isolement.

Ce que peuvent faire les prestataires de services

Pour Darren, l’inclusion commence par un geste simple : créer un espace où toute personne peut partager son histoire, être écoutée et accueillie dans toute son authenticité. C’est dans cette écoute que la sécurité trouve sa place.

« Offrez cette possibilité dans vos formulaires d’accueil, vos dossiers, vos conversations, recommande-t-il. Et faites-le pour tout le monde. Lorsqu’elle devient une pratique courante, cette approche contribue à normaliser l’expression de soi chez les personnes aînées. »

Toutefois, certaines personnes ne répondront pas tout de suite.

« Peut-être qu’elles ne cocheront pas la case la première fois, ajoute-t-il. Mais chaque fois que vous demandez, vous entrouvrez une porte. Vous montrez que vous vous souciez d’elles. Plus vous ouvrez de portes, plus vous bâtissez la confiance. »

Même les plus petites attentions peuvent faire une grande différence : se présenter avec ses pronoms, reconnaître la conjointe ou le conjoint d’une personne lorsqu’on la salue.
« Cela fait sentir aux gens qu’ils ont leur place, conclut Darren. Qu’ils sont compris et respectés. »

De la cohorte du silence à celle de la fierté

Une partie du travail de Dignity Seniors Society consiste à comprendre les différences générationnelles. Darren décrit beaucoup de participants et participantes comme appartenant à ce que la recherche appelle la cohorte du silence.
« Ils ont grandi avant la décriminalisation, avant que l’homosexualité soit retirée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, où elle figurait autrefois. Ils ont appris à se cacher. Certains appellent encore leur partenaire de quarante ans leur “ami” ou leur “colocataire”. Cette honte apprise est tenace; elle façonne encore la façon dont plusieurs se perçoivent. »

Pour Darren, réparer ces blessures relève d’un devoir de justice sociale.
« Nous avons la responsabilité, comme société, de réparer les torts des années 1950 et 1960. Beaucoup ont subi des thérapies de conversion, des électrochocs, voire des lobotomies. Les autres ont entendu ces histoires. Cette peur les habite encore. »

Mais le changement, note-t-il, est déjà en marche.
« La cohorte de la fierté, celle qui a grandi après la légalisation, arrive maintenant dans le système. Ces personnes ne se cacheront pas. Elles seront des militantes. Et notre rôle est de préparer les prestataires à les accueillir, car elles exigeront le changement. »

Ce virage, dit-il, obligera les systèmes de santé à évoluer pour concevoir les soins avec les personnes plutôt que pour elles, et faire de chaque interaction un geste de dignité et d’équité.

Regarder vers l’avenir

Pour Darren, ce travail est à la fois personnel et collectif, un acte de réparation et d’espoir. Chaque échange, chaque geste de soin, contribue à rebâtir la confiance envers des systèmes qui ont causé du tort.

Il sait que le changement prend du temps. Mais il voit chaque jour les signes qu’il s’opère, dans ces voix qui n’ont plus besoin de chuchoter et dans cette certitude tranquille que nul ne devrait avoir à se cacher pour recevoir des soins.

Pour en savoir plus sur l’organisme Dignity Seniors Society et son travail auprès des personnes aînées de la communauté 2SLGBTQIA+, visitez www.dignityseniors.org.