Rebâtir la confiance : le parcours de réconciliation de Martin Beaumont

Dans cette scection :

Parfois, un événement fait vaciller tout un système.
Non pas ses rouages, mais ce qui l’anime.
Un moment qui ouvre les yeux – et ne les laisse plus se fermer.

Pour Martin Beaumont, président-directeur général du CHU de Québec – Université Laval et membre du conseil d’administration d’Excellence en santé Canada, le décès de Joyce Echaquan a provoqué une prise de conscience profonde dans tout le réseau de la santé et des services sociaux. Cette tragédie, porteuse d’une immense tristesse, a secoué les consciences et ouvert un espace de réflexion collective. Elle a rappelé que la dignité n’est pas une valeur abstraite, mais une exigence quotidienne. Elle a imposé l’urgence d’agir, de revoir nos gestes et nos structures pour que semblable injustice ne trouve plus jamais place dans nos établissements de soins.

Du rationnel à l’humain

Au début des années 2000, la sécurité des soins s’exprimait avant tout en chiffres, en normes et en suivis rigoureux. « On était beaucoup dans le rationnel, le transactionnel », se souvient-il. Ces approches demeurent indispensables : elles fournissent les bases solides sur lesquelles s’appuie la qualité des soins. Mais avec le temps, il a découvert qu’elles ne suffisaient pas.

Au sein du CHU de Québec – Université Laval, la sécurité ne se limite plus aux indicateurs. Elle englobe désormais ce qui ne se chiffre pas : le climat de travail, la cohésion des équipes, le respect et la confiance qui circulent entre soignants et patients. C’est là qu’il situe l’évolution la plus marquante : non pas un renoncement au rationnel, mais l’ajout d’une dimension profondément humaine et transformationnelle, qui donne tout son sens aux chiffres et aux méthodes.

Les leçons d’un apprentissage partagé

Pour Martin Beaumont, Excellence en santé Canada demeure « une école absolument extraordinaire », un espace d’apprentissage qui alimente encore aujourd’hui sa réflexion sur la qualité et la sécurité des soins. C’est là qu’il a découvert, pour la première fois, les notions de vérité, de réconciliation et de sécurisation culturelle. Des mots qui ont trouvé en lui un écho profond et qui se sont transformés, au fil du temps, en leviers d’action.

Ces échanges, nourris de réalités venues de toutes les régions, lui ont permis de mesurer l’ampleur des défis, de comparer les approches, de constater que certaines provinces avaient déjà pris de l’avance dans l’adaptation de leurs services aux réalités des Premières Nations, des Inuit et des Métis. Ils lui ont donné une perspective précieuse : comprendre que la réconciliation ne se pense pas en vase clos, mais qu’elle se construit à travers les regards croisés, les partenariats de réciprocité et les solutions partagées.

Des actions concrètes

Ces apprentissages se sont incarnés dans des gestes concrets au sein du CHU et, plus largement, dans le Réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux (RUISSS) de l’Université Laval qu’il préside. En partenariat avec les communautés, un Centre de sécurisation culturelle a ouvert ses portes et des chambres d’hôtellerie hospitalière ont été créées pour accueillir les personnes venues du Nord afin de recevoir des traitements de cancer.

Près de douze mille membres du personnel – cliniciens, gestionnaires et employés de soutien – ont reçu une formation en sécurisation culturelle. Ce vaste chantier vise à transformer chaque interaction, à faire en sorte que chaque rencontre soit empreinte de respect et d’ouverture. Un comité aviseur autochtone guide désormais la coconstruction des projets, tandis qu’une politique normalisée adoptée dans les dix établissements de l’Est du Québec assure que les mêmes communautés retrouvent partout une approche cohérente et respectueuse.

L’engagement se poursuit aussi à travers le programme FORCES. Une équipe travaille actuellement sur l’intégration de stratégies de sécurisation culturelle jusque dans les avions du Programme d’évacuations aéromédicales du Québec (EVAQ), un rappel que la réconciliation ne concerne pas seulement les hôpitaux, mais aussi les services préhospitaliers, là où chaque geste compte. 

La confiance comme ciment

Depuis trop longtemps, les communautés hésitent à franchir les portes des établissements de santé, redoutant les jugements, la stigmatisation et les stéréotypes qu’ils continuent d’y subir. « Les communautés ne viennent pas toujours vers nous parce qu’elles n’ont pas confiance, parce qu’elles craignent d’être jugées », reconnaît-il.

La mesure ultime de la sécurisation culturelle appartient aux communautés elles-mêmes.

« Quand on y croit, on y consacre du temps, de l’énergie, des moyens. Et c’est là que les initiatives prennent racine, qu’elles inspirent et qu’elles transforment. »

La conviction qui fait durer

Pour Martin Beaumont, tout commence par une conviction intime : y croire vraiment. Croire assez pour allouer des ressources, défendre ces démarches auprès des décideurs et les inscrire dans la durée. « Ces initiatives doivent faire partie de notre zone d’obsession », dit-il.

Pour lui, le cœur battant de l’engagement réside dans cette conviction transformée en obsession constructive, capable de guider les choix stratégiques, d’orienter les priorités et d’inspirer l’ensemble du réseau.

Ce travail va bien au-delà de projets ponctuels : il s’agit de tisser la réconciliation dans la culture organisationnelle et de bâtir la confiance pas à pas, à travers chaque décision et chaque action.

La suite dépend de nous

Chaque formation donnée, chaque projet mené, chaque engagement respecté devient une promesse tenue. La confiance se regagne pas à pas, grâce à l’écoute attentive, aux questions posées et à l’espace accordé à toutes les voix.

Et nous, dans nos propres milieux, sommes-nous prêts à écouter?
À créer des lieux où toutes les voix comptent?
À poser les gestes qui feront grandir la confiance?

La sécurisation culturelle n’est pas un objectif atteint une fois pour toutes. C’est un chemin exigeant, mais nécessaire, qui transforme les relations de soins et, ultimement, les vies.

À nous de continuer de le tracer.

Consultez le Principe de Joyce pour en savoir plus sur les engagements et les actions qui soutiennent la sécurisation culturelle dans les soins de santé au Québec et au Canada.